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L'Art: cours explicité

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Message  Cécile Dim 6 Fév - 18:32

L’ART

I.QU’EST-CE-QUE L’ART ?

1) DISTINCTION ART/TECHNIQUE
Généralité
DEF : la technique est un ensemble de procédés plus ou moins fixes et déterminés pour produire un résultat jugé utile. Différence :
- technique = transmissible, de l’ordre de l’acquis
- l’art est plus intuitif, lié au talent et à l’habileté (façon de faire qui n’est pas immédiatement transmissible), avec une création
L’art n’est pas réductible à la technique.
 L’art est-il pour autant dépourvu de technique ?

Le point de vue antique, jusqu’au Moyen-âge
Pour les Grecs, l’activité artistique ne se distingue pas d’une activité utile, il y a indifférenciation entre technique et art, qui tous deux nécessitent une habileté.
DEF antique de l’art : capacité technique et esthétique à la fois, mobilisée en vue de la production d’un résultat.

XIXe siècle : scission technique/esthétique
La Révolution industrielle affecte la notion d’art, car les machines produisent sans aucune création des objets toujours identiques, dans une pure technique, dont tous les procédés sont matérialisés et intégralement transmissibles.
L’art devient alors une activité propre, avec 3 caractéristiques :
- imagination créatrice et dominante ≠ reproduction pour l’activité technique
- Ø intérêt immédiat sinon esthétique, « inutile » ≠ but intéressé, utilité
- procédés variables, à inventer, créativité
->DEF moderne : production de beauté par des les œuvres d’un être conscient.

2) PRODUCTION D’ŒUVRES ESTHETIQUES
Esthétique < aisthesis (sensibilité : capacité à être affecté par choses sensibles, entre les normes du plaisir et de la douleur). L’art s’adresse en premier lieu à notre sensibilité, et non à la raison. Si la vue d’une œuvre procure en moi un plaisir esthétique, elle est esthétique.
(Baumgarten (1714-1762), disciple de Leibniz, a assigné son sens au mot esthétique. Le terme, transcription directe de l’allemand « Ästhetik », n’est apparu dans la langue française que fin XVIIIe).

Classification classique des arts canoniques : peinture, sculpture, danse, musique, littérature, théâtre, cinéma. L’architecture, la cuisine… sont considérés comme assignés à des fins utilitaires.

3) QUESTIONS
 Art et imitation : l’art a longtemps été, notamment en peinture, la reproduction de réalités existantes : dans ce cas, où était la création, était-ce réellement de l’art ?
 Le jugement esthétique : si l’art s’adresse aux sens, et puisqu’il n’y a pas de sensibilités particulières, comment évaluer esthétiquement une œuvre ? Par un concept du beau ?
 Lien art/philo : des deux activités travaillent sur deux matériaux différents, dans philosophie le travail se fait sur le concept et le raisonnement prend le pas sur l’imagination. Dans ce cas, pourquoi cette importance de l’art en philo ? Concurrent ? Complément ?

II. L’ACTIVITE ARTISTIQUE : CREATION OU IMITATION ?

1) L’ART COMME IMITATION DE LA NATURE
De la Préhistoire au Moyen-âge, et surtout pendant la période grecque, l’art notamment pictural se veut être la reproduction de la réalité perçue. 2 raisons :
- la nature=puissance supérieure de création, en transformation incessante et donc source d’inspiration : créer en art =tenter d’imiter la puissance créatrice la nature en copiant ses produits
- fonction mémorielle de l’art, historique, pour se souvenir de ce qui s’est passé, quoiqu’avec une part de sublimation (ex : Le sacre de Napoléon de David)

Platon explique dans La République qu’un tableau représentant un lit est le résultat d’une double copie : celle d’un lit qui est lui-même la copie empirique qu’un artisan a fait de l’Idée du lit. D’où hiérarchie : l’Idée, puis les choses empiriques, puis les œuvres artistiques. Ainsi la matière artistique n’arrive qu’au troisième rang dans l’ordre des réalités.

Exemple
Au IVème siècle av. J-C, deux peintres rivaux, Zeuxis et Parrhasios, se lancent le défi de réaliser la peinture la plus réaliste possible : les oiseaux viennent picorer les raisins que peint Zeuxis, mais Zeuxis est trompé par le rideau que peint Parrhasios…

2) CRITIQUE : FAIBLESSE DE L’IMITATION (HEGEL)
« L’art doit […] se proposer une autre fin que l’imitation purement formelle de la nature ; dans tous les cas, l’imitation ne peut produire que des chefs d’œuvre de technique, jamais des œuvres d’art » (Esthétique)
Pour Hegel, on ne peut imiter la nature, car :
- la peinture ne s’adresse qu’à la vue, tandis que les beautés « naturelles » s’adressent à tous nos sens : il y a donc déperdition, l’imitation est en deçà du réel
- on ne reproduit que l’état d’une chose à un instant donné, jamais sa genèse, et donc pas son entière réalité
Selon Hegel, ce que recherche l’artiste dans ces reproductions les plus fidèles possibles, c’est le reflet de son talent technique, de son habileté, contemplation que légitime la fonction mémorielle.
Exemple : effectivement, le mouvement n’est pas reproductible sans une modification de la réalité ; pour donner une impression de mobilité chez un cheval par exemple, il faut inverser le mouvement des pattes arrières.

3) QU’EST-CE-QUE CREER ?
DEF : créer, c’est faire exister ce qui n’existait pas auparavant.
Stricto senso, la pure création se fait ex nihilo ; mais l’artiste ne crée pas à partir de rien, il use de matériaux préexistants, de brosses, de pinceaux. Même le brun de Rembrandt, décrit comme nouveauté, est fait à partir de roches existantes. Dans ce cas, où est la création ?
-> Dans l’agencement, la disposition des éléments reproduits, qui crée un sentiment et un sens nouveaux.

4) DISTINCTION ENTRE REPRODUCTION ET REPRESENTATION.
Représenter, c’est exercer une fonction de signe, rendre présent quelque chose d’absent. Tout œuvre esthétique est un signe, non seulement dans un sens mémoriel, mais aussi parce qu’elle donne à voir la représentation que le peintre a d’un certain réel. La subjectivité intervient dans la représentation, et c’est pourquoi un même thème, comme la descente de la croix par exemple, suscite des représentations différentes.
« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » Paul Klee (1879-1940)
NB : réel ≠ réalité, qui est relative à la perception ; le réel est au-delà de la réalité, ce qui dans la réalité n’est pas immédiatement visible.

EXEMPLE 1 : LES AMBASSADEURS, DE HANS HOLBEIN (1543)
Deux personnages, tous deux ambassadeurs de François Ier à la cour d’Henri VII, alors qu’il se prépare à épouser Anne Boleyn et ainsi rompre avec l’Eglise catholique :
- Jean de Dinteville, ambassadeur « de robe courte » (-> détenteur du pouvoir politique) est richement vêtu (pelisse doublée d’hermine…)
- Georges de Selves, ambassadeur « de robe longue (-> pouvoir religieux), vêtu plus sobrement, se tient en retrait. Evêque de Lavarn.

Ils se tiennent accoudés sur une étagère, assise de leur pouvoir, et contient tous les attributs du quadrivium humaniste (4 arts majeurs : géométrie, astronomie, musique, arithmétique) :
- le globe céleste : importance des découvertes astronomiques du XVIe (Copernic est mort en 1543)
- une équerre, un livre d’arithmétique : représentent l’intelligence des ambassadeurs
- un luth -> l’harmonie, mais dont une corde est cassée (-> début de la lutte protestants/catholiques)
- livre de musique, ouvert sur hymne allemand traduit par Luther : tolérance religieuse de Selves.

En dessous de toutes ces manifestations de la puissance humaine, il y a une forme oblongue, qui représente un crâne en anamorphose.
DEF : déformation d’une image par procédé optique, en utilisant souvent un cylindre de verre.
Ce crâne relativise la magnificence humaine, et montre notre rapport à la mort : nous sommes conscient de sa présence, mais ne l’entre-apercevons que de façon fugace.

Cette double composition du tableau, par cette idée géniale de l’anamorphose, fait de lui l’image de notre rapport à la mort ; l’œuvre s’organise dans un travail de reproduction des réalités, mais la reproduction est seconde ; prime la figuration de la pensée de l’artiste.

EXEMPLE 2 : LES MENINES, DE VELASQUEZ (1656)
La disposition du tableau pose la question du modèle de Velasquez : qui concentre son regard et celui des autres personnages ? Le sujet principal est absent du tableau, seulement suggéré par la composition, et par le reflet qu’on aperçoit dans le miroir au mur. L’œuvre devient ici une réflexion picturale, une mise en abîme, la représentation de ce qu’est une représentation : à la manière d’un signe, elle suggère une absence par quelque chose de visible.
Dans Les mots et les choses (1966), dont la préface commence avec l’analyse des ménines, Foucault dit : « L’invisibilité profonde de ce qu’on voit est solidaire de l’invisibilité de celui qui voit. ». Dans une peinture, sont absents aussi bien le peintre, = le sujet de la perception (celui qui voit), que le sujet du tableau, dont on ne voit qu’une surface. Foucault souligne la fiction de l'art pictural, que cherche également à représenter Velasquez. Cette fiction réside dans :
- l'absence profonde de ce qui est représentée
- le "cachage" du véritable sujet de la perception, qui est originellement le peintre et non le spectateur
Foucault dit plus loin : « il nous faut donc feindre de ne pas savoir qui se reflétera au fond de la glace, et interroger ce reflet au ras de son existence. ». Que le sujet « véritable » du tableau soit le roi et la reine d’Espagne n’a en fait que peu d’importance ; la richesse du tableau réside dans l’absence du sujet.
Les ménines sont donc bien une représentation, par la force de l’agencement, et non une simple reproduction.

Transition : l’art se fonde donc sur la représentation. Mais il n’y a pas d’art sans adresse à un public, et cette participation des autres, participe de la beauté de l’œuvre. Comment se passe cette adresse ? Le même effet, universel et unique, est-il produit sur la sensibilité du public ?

III. QU’EST-CE-QUE LE BEAU ? Y EN-A-T-IL UNE NORME UNIVERSELLE ?

A. BEAU ARTISTIQUE ET BEAU NATUREL (KANT)
Preuve : puisque la représentation d’un objet beau ne procure pas nécessairement le même plaisir que l’on aurait à contempler cet objet, on peut conclure que le beau naturel diffère du beau esthétique (-> relative à une œuvre d’art).

Différence : « La beauté naturelle est une belle chose. La beauté esthétique est une belle représentation d’une chose. » (Kant). Différentes caractéristiques :
- « beauté naturelle » = « beauté adhérente » : la beauté adhère à la chose
- « beauté artistique » = « beauté libre » : elle est le résultat d’une composition propre à l’artiste, elle est en un sens contingente

Conséquence : une chose qui paraît laide dans la nature peut donner lieu à une belle représentation, sublimée par le travail de l’artiste.
Ex : Richard Avedon, photographe, sublime par son art des visages tuméfiés, vieillis, laids.
« Un portrait n’est pas une ressemblance. Dès lors qu’une émotion ou qu’un fait est traduit en photo, il cesse d’être un fait pour devenir une opinion. L’inexactitude n’existe pas en photographie. Toutes les photos sont exactes. Aucune n’est la vérité. »
« J’ai toujours une préférence pour le travail en studio. Il isole les gens de leur environnement. En un sens, ils deviennent des symboles d’eux-mêmes. »
Ex : Les Souliers de Van Gogh, qui deviennent l’incarnation de la misère du monde.

B. UN CONCEPT DU BEAU ? DEFINITIONS CLASSIQUES
Harmonie
Pour Platon, dans Hippias majeur, il y a un concept de la beauté, si bien qu’il est possible d’évaluer esthétiquement une œuvre. Le critère est l’harmonie, c’est elle qui produit en nous, par la symétrie et la juste proportion, un plaisir esthétique, car nous avons une sorte de disposition naturelle à l’harmonie. Ainsi, les kouros grecs, statues de jeunes hommes, ont des proportions mathématiques et constituent un idéal de beauté masculine. Ces proportions parfaites ont été rassemblées par Euclide dans Eléments.

Utilité
La convenance fonctionnelle d’une chose fait sa beauté. Ainsi, dit Platon, « une cuillère en bois est plus belle qu’une cuillère en or », parce qu’elle remplit mieux sa fonction.

Bien
Dans le Banquet, Platon explique qu’est beau ce qui nous conduit à l’idée de bien, de beau. La vue de beaux corps, notamment, nous amènent à des pensées supérieures, parce qu’ils nous élèvent au stade des idées et particulièrement à l’idée du bien.
=> Dans la sagesse grecque, la sensibilité et le beau sont soumis à des concepts, ordonnés à la raison. Mais n’y a-t-il pas quelque chose de propre à la sensibilité, extérieurement à une harmonie rationnelle ?

C. CRITIQUE

1) LE BEAU DIFFERE DE L’AGREABLE (KANT) -> TEXTE 2 ET 3
L’agréable est spécifique (texte 2)
« Le jugement par lequel [quelqu’un] déclare qu’une chose lui plaît, étant fondé sur un sentiment particulier, n’a de valeur que pour sa personne. » (Critique de la faculté de juger). De ce fait, « ce serait folie [...] d’accuser d’erreur le jugement d’autrui lorsqu’il diffère du nôtre, comme s’ils étaient opposés logiquement ». En effet, il n’y pas d’erreur possible, puisqu’on ne peut se référer à aucune norme de justesse par rapport à laquelle il y aurait décalage, une telle norme n’existant pas. Il n’y a pas non plus d’opposition logique, puisque la rationalité n’intervient pas. C’est pourquoi « chacun a son goût particulier » : la sensibilité ne relève pas du concept, est toujours singulière.

Le beau a une dimension universelle
Je ne puis simplement décréter qu’une œuvre est belle, car « lorsque je donne une chose pour belle, j’exige des autres le même sentiment ». En effet, une œuvre belle doit plaire à tout le monde. Il y a un élément d’universalité dans le beau, ce qui pose un problème : comment le sensible s’allie-t-il au concept ? Si la sensibilité, spécifique, intervient dans l’appréciation de la beauté, comment une œuvre peut-elle plaire à tous ?

NB : l’idée de l’universalité du beau existe déjà chez Platon. Dans Hippias majeur, Socrate amène Hippias à cette conclusion : « tu cherches une beauté telle que jamais et en aucun lieu elle ne paraisse laide à personne. »

La nécessité d’une approche non-utilitariste (texte 3)
« Le goût est la faculté de juger d’un objet ou d’une représentation par une satisfaction dégagée de tout intérêt. L’objet d’une semblable satisfaction s’appelle beau. »
L’intérêt, c’est « le rapport qu’il peut y avoir entre moi et l’existence de l’objet ».
Si, en ne biaisant mon jugement d’aucune approche utilitaire, en ne rapportant pas cet objet à ma personne (pas de : cette robe m’irait bien), j’éprouve tout de même un plaisir esthétique (cette robe est belle), c’est que je suis en présence du beau. Le beau est « l’objet d’une satisfaction dégagée de tout intérêt ».

2) UN JUGEMENT A LA FOIS OBJECTIF ET SUBJECTIF
La simple contemplation d’une œuvre d’art ne suscite pas mécaniquement chez tout le monde un plaisir esthétique : il y donc une part de sensibilité dans le jugement de goût.
Mais si l’appréciation dépendait uniquement de la sensibilité, aucune appréciation universelle ne serait possible, le beau n’existerait pas, puisque tout le monde n’a pas la même sensibilité.
Il y a ainsi une ambiguïté du beau. Il n’est pas objectif, puisqu’il s’adresse à la sensibilité, particulière. Mais il ne se réduit pas non plus à une appréciation exclusivement individuelle.

Pour Kant, il a y a dans l’appréciation du beau une part de subjectivité, liée à l’intervention de la sensibilité (contrairement à un jugement scientifique, fixe) et une part d’objectivité, liée à la force esthétique de l’œuvre, dans sa composition.

3) CE QUI PLAIT UNIVERSELLEMENT, SANS CONCEPT -> TEXTE 4
Le jugement du beau « ressemble à un jugement logique en ce qu’on peut lui supposer une valeur universelle ». En effet, si la satisfaction que j’éprouve en présence d’une œuvre est entièrement désintéressée, si elle est sans lien avec moi-même, tout le monde devrait éprouver ce même plaisir. J’aurais donc tendance à considérer le beau « comme si c’était une qualité de l’objet même ».

Mais le jugement esthétique n’est pas logique, il n’est pas lié à un concept : « cette universalité n’a pas sa source dans des concepts. » Pourquoi ? « Car il n’y a point de passage des concepts au sentiment du plaisir ou de la peine. » Ces sentiments sont de l’ordre de la sensibilité, je « frémis » devant l’œuvre. Mais ce « frémissement » ne peut pas être déclenché par un concept, qui fait appel à la raison. Par conséquent, « le jugement de goût […] a droit à une universalité subjective ». Subjective, parce que « cette universalité n’[a] pas son fondement dans les objets mêmes ». En science, je décrète que « l’eau bout à 100° » : l’universalité de ce jugement est objective, parce qu’elle est liée à une propriété inhérente à l’eau. Ici, le beau n’est pas inhérent à l’œuvre, parce qu’il n’y a pas intervention de concept. C’est donc bien une universalité subjective, liée à la sensibilité.

=> « Est beau ce qui plaît universellement, sans concept. »

=> question : d’où provient la valeur universelle du jugement de goût, si ce n’est pas d’un concept ?

4) LE BEAU, EXPRESSION D’UNE FINALITE SANS FIN -> TEXTE 5
« L’universalité à laquelle prétend le jugement de goût vient de ce qu’il y a un rapport nécessaire entre la représentation de l’objet et le sentiment ; mais elle ne saurait devenir l’objet d’une doctrine démonstrative, parce que c’est un sentiment, non un concept, qui est lié à la représentation de l’objet »
Par ailleurs, Delbos, qui commente les théories de Kant dans Introduction aux Fondements de la Métaphysique des Mœurs, explique le beau est une synthèse, « un accord entre nos facultés sensibles et nos facultés intellectuelles ». Ces deux facultés humaines sont souvent en opposition ; mais l’art unifie le cognitif et le sensitif, et nous procure ainsi du plaisir. Nous entrevoyons grâce à l’art « un monde suprasensible, inconnaissable pour nous, cause de l’accord de nos facultés. »

Pourquoi « finalité sans fin » ?
Une œuvre d’art est une finalité : toutes ses parties ont été choisies et concourent pour susciter cette harmonie, ce « jeu concordant de l’imagination et de l’entendement ». Mais cette finalité est sans fin, est une adresse infinie.

D. CRITIQUE DE L’ART COMME CREATION ET PRODUCTION DE BEAUTE

1) EXPRESSION DE LA SUBJECTIVITE
Dès la fin du XIXe siècle, une révolution artistique opère une rupture avec l’esthétisme classique et l’académisme, dans tous les arts, avec par exemple l’invention de la photographie qui vient remettre en cause la fonction mémorielle de la peinture. Le réalisme n’est plus le critère de beauté numéro 1.

De nouveaux critères de représentation (Van Gogh)
Dans Correspondance générale, Van Gogh (1853-1890) décrit à son frère Théo un tableau qu’il vient d’achever, « un des plus laids que j’aie faits » dit-il. Il s’agit du Café de nuit, toile par laquelle le peintre n’a pas voulu produire du beau ou un plaisir esthétique, mais un sens. Il s’agit d’ « exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines ». Ces deux couleurs, criardes, qui ne s’harmonisent pas, qui créent « un combat et une antithèse », traduisent la violence de la relation « passionnée », subie, des hommes à l’alcool. Il ne s’agit pas d’un « couleur localement vraie au point de vue réaliste du trompe l-œil », mais d’une « couleur suggestive », comme l’usage d’un « mariage de deux complémentaires » pour des amoureux. Il s’agit de faire ressentir ce qu’a ressenti l’artiste devant cette scène, non ce qu’il a vu au sens strict.
« Ce n’est certes pas là du trompe l’œil réaliste, mais n’est-ce pas une chose réellement existante ? » : on a une rupture avec la conception classique de la représentation, l’avènement d’autres critères.

2) LE NON-ART : NOUVELLE VOCATION ET NOUVEAUX CRITERE DE L’ART (DUCHAMP)
Pour Duchamp (1887-1968) : « une œuvre d’art n’est jamais belle ». Une œuvre d’art est subversive, doit contester l’art tel qu’on le conçoit. Et en effet, les ready-made de Marcel Duchamp rompent avec l’académisme.
Ex : l’urinoir = « Fontaine », signé M. Mutt
Ex : « Roue de bicyclette », une roue posée sur un tabouret.
Dans le texte (7) :
« Que M.Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou non est sans importance. » -> l’habileté technique n’est plus un critère dans l’appréciation de l’art.
« Il a pris un élément ordinaire de l’existence et l’a disposé de telle sorte que la signification utilitaire disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue. » : l’art commence quand s’éteint le rapport utilitaire aux choses ; tout est art, si je le détache de son utilité.

3) LA DISSONANCE (STRAWINSKY) -> TEXTE 8
Dissonance : le son est opposé harmoniquement à celui qui le précède. Avant Strawinsky (1882-1971), Debussy et Wagner par exemple avaient expérimenté l’usage de la dissonance, mais seulement par phases, de sorte à ce qu’elle s’inscrive dans une logique harmonique. « Avec Strawinsky, la dissonance, et la plus cruelle, devient la règle même du style. » Les « duretés harmoniques », perçues jusqu’alors comme « des bruits sans signification », deviennent « musicales et même expressives ». La musique de Strawinsky «cherche à heurter la sensibilité coutumière du public », ne veut pas plaire, mais a un rôle éducatif.
Ces formes nouvelles, toute « choquantes » qu’elles soient (et elles le sont), permettent aussi d’exprimer des sentiments nouveaux, enrichissent la musique elle-même comme l’auditeur.

4) L’ATONALITE (SCHÖNBERG)
Atonalité : Ø dominance d’un seul ton, mode, note, qui serait privilégié. Classiquement, une gamme de ton est une suite de 7 sons avec une note « majeure », qui joue le rôle de principe. Schönberg (1874-1951) va faire coexister plusieurs tonalités dans une seule œuvre, sans qu’une ne soit dominante. C’est le sérialisme : les 12 notes de la gamme chromatique sont jouées sans dominance. Cette musique peut être considérée comme intellectuelle, car elle réclame une certaine concentration, d’autant qu’elle ne cherche pas à plaire en flattant la sensibilité ; mais la déroute qu’elle provoque chez l’auditeur amène à un enrichissement, une ouverture.

NB : LE ROLE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Ces nouveaux rôles que s’assignent les arts sont, pour part, à mettre en lien avec les événements historiques tragiques du XXème siècle, notamment le Seconde Guerre Mondiale. « Ecrire un poème après Auschwitz est barbare », dit Theodor Adorno (1903-1969). Le philosophe allemand montre que l’art ne peut plus être uniquement la recherche du beau, mais doit contribuer à faire évoluer la civilisation occidentale, devant les atrocités commises par un pays à la pointe du « progrès ».

E. UN NOUVEAU RAPPORT AU REEL

EX : CARRE BLANC SUR FOND BLANC, MALEVITCH
Note culture
Ce peintre russe, né à Kiev (1878-1935) a été formé à l’école de l’icône (->image en grec), où, pour signifier la présence de Dieu, les personnages sont déshumanisés et ne manifestent pas d’émotion. En 1911, à Paris, il s’initie à la peinture géométrique (-> rupture avec ressemblance). En 1912, il « crée » le mouvement du suprématisme, et en 1918 il peint le Carré blanc sur fond blanc.

Analyse du tableau
S’il n’y a avait dans ce tableau que le fond, blanc (≠couleur), Malevitch aurait pu vouloir signifier le nihilisme, la non-peinture. Mais il y a ce carré, visible par son épaisseur ; Malevitch veut représenter la non-représentation (1926 : écrit Le Monde de la non-représentation), d’autant que le carré est une forme géométrique qui n’existe pas dans la nature. Ce carré, impersonnel, devient le symbole, le signe, de tous les objets possibles.

Comparaison avec Les Ménines :
Point commun : deux tableaux réflexifs, représentation de ce qu’est la (non)représentation.
Différence : dans l’ancien rapport :
- le neuf est rendu visible par l’agencement particulier de reproductions du réel.
- c’est donc par la fiction (qqc qui n’existe que dans notre esprit) que l’art fait rencontrer le réel, fiction que révèle Magritte dans son tableau La Trahison des images (1929), qui représente une pipe accompagnée de la légende : « Ceci n’est pas une pipe ».
Nouveau rapport : la peinture nie la ressemblance et veut montrer la fiction et sa puissance.
L a beauté est ainsi une fiction créée par l’art, trompeuse.

-> éclairage nouveau à la citation de Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible » (Théorie de l’art moderne)
Michel Seuphor (1901-1999) donne une définition de l’art abstrait qui peut renvoyer à la non-représentation : « J'appelle art abstrait tout art qui ne contient aucun rappel, aucune évocation de la réalité observée, que cette réalité soit, ou ne soit pas le point de départ de l'artiste »

IV. ART ET PHILO

A.TROIS RAPPORTS POSSIBLES
Rapport de tension : concurrence et danger (Platon)
Pour Platon, l’art est un concurrent, parce qu’il s’adresse à la sensibilité et non à la raison. Au raisonnement lent et laborieux philosophique s’oppose le face-à-face spectateur/peinture, plus agréable pour ce dernier.
Mais l’art est aussi un danger, car il affecte la sensibilité humaine, l’influence de façon non-maîtrisable par la raison. Ex des musiques militaires.
C’est pourquoi Platon achève son œuvre La République sur l’idée qu’une cité juste sera sans poète.

Rapport de complémentarité : art indispensable
Dès la fin du XIXème émerge l’idée que « la philosophie est à bout » (Heidegger). Elle a perdu sa puissance, n’est plus un moyen d’accès à la vérité, et doit s’en remettre à l’art. Depuis la révolution industrielle, en effet, l’omnipotence de la technique et la course à la puissance qu’elle entraîne (voir chap sur la technique) affectent la vie des hommes, chose que peut peut-être contrer l’art.

Rapport de consensus
L’art a une fonction sociale, presque thérapeutique : il peut apaiser les tensions entre les hommes. C’est le point de vue d’Aristote -> catharsis (« purgation des passions ») opérée notamment par la tragédie.

B. 2ND RAPPORT : L’ART CONTRE LE NIHILISME DE LA SUBJECTIVITE TECHNICIENNE

1) NIETZSCHE
Généralité
Nietzche associe au nihilisme grandissant des sociétés qui s’industrialisent le développement technique non-maîtrisé qu’a engendré la Révolution industrielle. La puissance déchaînée de la technique (voir chap) commande la réflexion humaine et lui fait perdre de vue la finalité et ses valeurs : « Dieu est mort », affirme le philosophe allemand dans Le Gai Savoir. Le monde n’a plus de transcendance à laquelle se référer et échoue ainsi dans sa quête de vérité.
Pour contrer cette puissance de la technique, Nietzsche propose l’art, où la fiction et l’imagination commandent et qui n’est donc pas pris dans la subjectivité technicienne car :
- Ø spécialisation nécessaire, Ø obscurantisme, car l’art s’adresse au sensible -> universel
- Ø intérêt
- création, Ø automatisme
- pour certains, détachement par rapport à la représentation, permet de prendre distance par rapport au réel, domaine de validité de la technique

Des voies inefficaces
La philo : travaille sur le raisonnement, et est donc une dérivée de la puissance scientifique qui est étroitement associée à la technique -> il faut une puissance sans raisonnement
Le théâtre : travaille sur la représentation, la mimesis, or il faut s’extraire de ce rapport au réel
La peinture ; il y a travail sur l’agencement pour conduire le regard, il y a donc raisonnement
Le langage ordinaire est pris dans l’étroitesse du rapport signifiant/signifié, ne peut donc pas donner accès à l’Etre, il est au contraire l’abri du nihilisme, parce que toujours inadéquat à ce que l’on voudrait signifier.

Des voies possibles
La musique : art suggestif, entièrement dans l’évocation, agit sur le sentiment. C’est l’art le plus éloigné de toute forme de représentation.
La danse :
- liberté ≠ automatisme de la technique : le corps semble se détacher de sa pesanteur
-parfaite maîtrise de la puissance ≠ asservissement à la pulsion de la course à la puissance
- Ø enjeu ≠ intérêt auquel est assignée la technique
La poésie :
- disposition naturelle à la compréhension de la poésie, si bien qu’il n’y a pas assujettissement aux savoirs de spécialistes
- organise le langage dans un rapport non-utilitaire
- demande un travail sur la langage, qui ne relève pas de l’automatisme

2) HEIDEGGER-> L’HERMENEUTISME
Pour Heidegger, la poésie, notamment celle de Rilke, Hölderlin et Trakl, est un moyen de nous dégager de deux dangers de la technique :
- la disposition utilitariste engendrée par la technique qui influe sur notre vie matérielle mais aussi spirituelle, en affectant nos rapports humains, car la poésie est sans intérêt immédiat
- l’objectivité liée au matérialisme de la technique et que vient renforcer le regard objectivant sur les choses qu’impose le langage ordinaire par le lien objectif de la signification. La poésie est non-objective par essence, car les images qu’elle utilise renvoient à une multiplicité d’interprétations.

C. CRITIQUE
La technique n’est pas en soi coupable du nihilisme et du déchaînement d’une course à la puissance. Le problème réside dans l’usage qui est fait de la technique ; ce ne sont pas les robots qui sont responsables du chômage, mais le choix du patron en amont. On pourrait donc plutôt inculper le système capitaliste, qui érige en valeur unique celle de l’échange commercial. Pire, il introduit l’art dans ce rapport de marché, dans la circulation monétaire, en le jugeant et l’évaluant. C’est par le jugement, qui est homogène à l’opinion car il est ce qui peut circuler dans les consciences humaines, que l’art rentre dans un rapport marchand. Le seul rapport authentique à l’art, sans doute, est celui édicté par Kant, à savoir un rapport contemplatif (< theorein en grec, a donné théorie).

CONCLUSION
Art -> Etre
« Le beau se définit donc comme la manifestation sensible de l’idée » (Esthétique) : pour Hegel, l’art est la pensée sous forme sensible ; il parvient, par des moyens propres au sensible, à saisir ce que les concepts sont impuissants à cerner. C’est donc un moyen d’accéder à l’Etre.

Art-> événement=> condition d’existence de la philo
Les trois différents rapports classiques qu’entretiennent l’art et la philo (suspicion, abandon, vue comme une thérapeutique) sont toujours vraies aujourd’hui. L’art peut être un appui de la philo, voire une condition de son existence, comme le sont les sciences, la politique. Ces différents domaines, en effet, créent des événements, inventent, et permttent ainsi à la philosophie l’élaboration de nouveaux modes de pensée car les anciens ne sont plus suffisants au vue de la nouvelle situation politique/artistique/scientifique.

Ex : selon Deleuze, l’idéalisme platonicien (système conceptuel basé sur les Idées) est lié à l’apparition de la démocratie. Ce système politique autorise la confrontation entre des prétendants au pouvoir mais aussi, en un sens, à une certaine forme de vérité -> qui détient la vérité ? C’est ce qui amène Platon à formuler sa théorie.


Dernière édition par Cécile le Jeu 10 Mar - 20:00, édité 1 fois
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Message  Mari0n Dim 6 Fév - 21:31

Le professeur a dû se tromper quant aux sept arts. J'ai vérifié, il s'agit classiquement de l'architecture, la sculpture, la musique, la peinture, la littérature, la danse et le cinéma. Le théâtre n'en fait pas partie (je suppose qu'il s'inscrit quelque part entre littérature et danse...)
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Message  Béatrice Dim 6 Fév - 21:44

Merci Cécile!!!!!c'est génial.. Very Happy
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Message  Mari0n Jeu 10 Mar - 19:19

J'ai feuilleté des bouquins en cours d'arts aujourd'hui et tiens à rectifier une erreur du prof : Carré Blanc sur fond blanc a été peint en 1918. Et au cas où ça intéresse quelqu'un, Schönberg était également un peintre ayant appartenu au mouvement expressionniste (expression de la subjectivité - Van Gogh en est un précurseur, le mouvement a particuliérement rayonné en Allemagne > Le Cri, Munch << I love you j'adore ce tableau)

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Message  Cécile Jeu 10 Mar - 20:01

Rectification effectuée Very Happy
Allez, on prend les paris pour les sujets de demain ? Moi je dis art et technique, mélangés ! Genre : l'art peut-il contrer l'avancée de la technique ? Rolling Eyes
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